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18 décembre 2023

Voyager en agréable compagnie

 
Il y a quelques semaines, dans le vol pour Boston, mon voisin de l'autre coté de la travée avait un ordinateur bien encombrant, mais un merveilleux sourire quand nos regards se sont croisés. Comme pour s'excuser d'avoir un matériel aussi peu adapté. 
 
Il avait envie de parler, moi aussi cela tombait bien. Ces vols courts sont souvent ennuyeux : profitant de la place vide à côté de lui, je me suis rapproché et nous avons fini le voyage en bavardant. Je suis un garçon rangé, sage et fidèle, cependant, mon voisin qui avait bien 15 ans de moins que moi était loin de me laisser indifférent. Et j'ai compris à un moment que le sentiment était réciproque ... 
 
Depuis que je suis rentré dans la période dite mature (mais l'est-on jamais dans sa tête ?), j'ai du mal à croire que je puisse plaire ceux qui continuent de me plaire et puis notre temps de wokisme, de terreur morale et d'hypocrisie surtout dans ce pays rend toute tentation suspecte même rêvée ou sublimée. Et puis c'est une question de goût. Je sais qu'à l'âge de mon charmant compagnon de vol, je n'aurai même pas regardé le quadragénaire avec qui j'entamais une conversation. Ou du moins, je ne l'aurai pas vu autrement que comme quelqu'un qui pourrait être mon père ou mon oncle... Les garçons - comme les filles - avec qui j'ai eu des aventures (joli terme désuet, on ne se refait pas), depuis mes premières fois jusqu'à ce que je rencontre le garçon avec qui je vis, ont toujours été de mon âge ou plus jeunes que moi. 
 
Mais revenons à ce garçon, qui n'est pas celui de la photo mais lui ressemble étonnamment, jusqu'au t-shirt et à la musculature. Nous avons évoqué la vie étudiante, les délices et les contraintes de cette période. Apprenti journaliste, il me dit être attiré par la vie publique. "Non pas en première ligne" disait-il en rajoutant avec modestie quelque chose du genre : "on dit que j'ai le physique qui plait aux électeurs... Je suis juste un  américain blanc aux dents blanches nourri au porridge, pancakes et hamburgers, nageur depuis l'âge de 10 ans et adepte de rowing... c'est courant tout ça non? il y en a plein comme moi à Saint Joseph !" 
 
Je n'ai pas dit ce que j'avais en tête, il aurait pu mal le prendre. Bien que ce soit lui qui ajouta " Je crois qu'on a du mal à s'aimer et c'est sur que j'attire les filles et les garçons. C'est une manière de se rassurer et de ne pas se sentir seul non ? Et puis c'est tentant de s'en servir !" a-t-il ajouté en se fendant d'un sourire encore plus lumineux. J'avais envie de lui demander s'il succombait à la tentation ou résistait aux chants des sirènes ? Cela voulait-il dire qu'il en profitait parfois ? Ce serait normal à son âge non ? La physiologie, les pulsions, le besoin d'expérimenter le plaisir et la douceur d'être désiré...

 
Stavros est d'origine grecque par sa mère et de l'Illinois par son père. il fait des études de journalisme et s'intéresse aussi à la biologie. Contraste absolu qui correspond aussi à l'apparente ambivalence de ses désirs et de ses goûts. Tout à fait ce qui m'attire chez un garçon. Non pas l'hésitation et le doute, mais le goût inné pour la liberté et le refus du conformisme sans être anti-conformiste. Vous comprenez ce que je veux dire.
 
L'avion commençait sa descente, nous allions atterrir, et partir chacun de notre côté. Je ne saurai jamais, sauf à le croiser un jour à New york ou ailleurs. Faible probabilité. Mais peu importe, il est bon d'imaginer sa réponse et, après tout, notre rencontre m'a permis d'écrire ce billet. Comme pour me souvenir - avec délice - du bel étudiant nageur de Saint Joseph's University qui avait du mal avec la tablette exiguë de l'avion.

16 septembre 2023

Un livre peut cacher bien des choses...

 

Mais que lit donc ce garçon qui prend un air agacé. est-ce d'avoir été surpris nu comme un ver en train de lire quand tout le monde dans la maison s'affaire ? ou bien est-ce parce que le jeune hélléniste pris en flagrant délit de lire un "thriller" quand il y a la nouvelle traduction du "Panêgurikós" d'Isocrate à terminer et que c'est moins bandant que les aventures de Gabriel Allon, fameux restaurateur d'art mais aussi... agent secret israélien ? Pour savoir il faudrait le lui demander. Si vous désirez obtenir son numéro de portable..

Après, le mieux est de laisser toutes ces supputations de côté et de découvrir ce texte, "The house of spies" publié en français sous le titre "La Maison aux espions", chez Harper & Collins en 2018. C'est assez prenant pour qui aime ce genre de livre. pour ma part j'aurai eu du mal à le lire si j'avais été dans le même lit que notre lecteur surpris !


Mark qui lit par-dessus mon épaule et sait que cela m'agace, a suggéré assez finement une troisième supputation : peut-être tout simplement le pauvre garçon revenu de plusieurs mois chez les Marines ou de volontariat dans un pays impossible d'Afrique ou d'Amérique du Sud avec les Peace Corps, attendait-il avec excitation et impatience son copain avec qui n'arrivait pas... De guerre lasse, le garçon s'occupait-il les mains quand le copain est enfin arrivé... Heureusement il y avait le livre ouvert à portée pour cacher son petit jeu solitaire. Pas mal trouvé. Mark a toujours été très inventif pour un WASP élevé dans une famille guindée et plutôt traditionnelle...

Dans un autre blog aujourd'hui délaissé, j'évoquais ces volontaires que l'Amérique envoie dans les pays en voie de développement avec force colifichets, bannières étoilées miniatures pour les enfants, médailles, prospectus vantant les mérites d'Oncle Sam. Mais c'est une autre histoire.

20 janvier 1961, JFK lance son fameux "Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour lui" et ce fut l'engouement pour ce volontariat vers les pays pauvres à éduquer, à élever et... à exploiter...

 

05 septembre 2023

Un peu de séduction déguisée...


" Je ne demande rien, je n'attend rien, je ne sais pas vraiment ce que je veux sinon te sentir contre moi et trouver une fois encore, avec toi mon plaisir..." C'est ce qu'il m'écrivit de sa belle écriture ronde, avec le stylo bleu que je lui avais offert. la lettre, deux feuillets arrachés à un cahier, pliés en deux avait été glissée sous la porte de ma chambre à l'université. Sam, mon colocataire d'alors, l'avait posée sur mon bureau. je ne saurai jamais s'il avait eu l'indélicatesse de la lire. Je crois que non mais n'ai jamais osé le lui demander. Je ne l'ai découverte que tard dans la nuit, en revenant du cinéma. Je me souviens du film qui venait à peine de sortir et qui passait à Times Square. "Catch Me If You Can" de Spielberg avec Tom Hanks et Di Caprio... 
 
J'étais heureux, amoureux peut-être sans encore le savoir. Mark ne faisait pas partie de ma bande d'amis proches. Il ne logeait pas au même endroit. Notre rencontre, tout à fait fortuite, fut comme un ouragan soudain, un éclair intense. Mais je n'aime pas trop m'épancher. Juste ce soir, le besoin de rendre grâce. Et ces lignes que je sais par coeur désormais, "je n'osais pas, tu sais, et je me sentais maladroit. Tu étais si beau, si brillant, si drôle et tranquille à la fois. Je ne savais pas comment me rapprocher de toi et je me suis inventé un personnage, forgé une attitude qui n'était pas tout à fait mienne. Un peu de séduction déguisée pour que ton regard accroche le mien et que tu me fasses don de ton sourire..." 
 
La lettre aura vingt ans dans quelques mois comme notre amour !

24 août 2023

La grâce, la pureté et le charme...

Comme un ange, l'image à chacune des saisons, dont parle l'écrivain Carlo Coccioli... "Quand il nous est donné de contempler la Beauté personnifiée,c'est un peu le Parnasse qui ouvre ses portes et nous avons soudain l'intuition du paradis, face à ces demi-dieux incarnés."

Je voudrais évoquer cette mémoire : mais voilà, presque rien n'en reste ; elle s'est effacée. Car elle gît très loin, au fond de mes premières années adolescentes.

Une peau, qui paraissait faite de jasmin... Août, cette soirée... Était-ce en août ? Je me souviens à peine des yeux. Ils étaient bleus, je crois. Ah oui, d'un bleu de saphir.


"Corps, souviens-toi, non seulement de l'ardeur avec laquelle tu fus aimé, non seulement des lits sur lesquels tu t'es étendu, mais de ces désirs qui brillaient pour toi dans les yeux et tremblaient sur les lèvres, et qu'un obstacle fortuit a empêchés d'être exaucés... 
 
Maintenant que tout cela appartient au passé, il semble presque que tu t'y sois abandonné... Corps, souviens-toi de ces désirs qui pour toi brillaient dans les yeux et tremblaient sur les lèvres..."
 

"... Avec ses profonds yeux bruns, son beau visage subtil (beauté des jouissances défendues), ses lèvres parfaites, dispensatrices de volupté au corps aimé, ses membres pleins d'une grâce idéale, faits pour des lits que la morale courante juge infâmes..."
 
"Tentation ou simple et naturelle invitation ? Céder à l'appel des sens ou résister au nom d'une morale hypocrite ? Se laisser prendre tout entier par le désir et la passion... Aimer de tout son corps et de toute son âme... 
 
Mon amour pour toi fut de ce bois dense et parfumé qui brûla des années sur notre couche immaculée, encens divin attisé par les dieux. 
 
Derrière les grandes portes de santal et de bronze, enveloppé de gazes et de soies flottantes autour de la couche, l'empereur jeune encore et l'adolescent au corps parfait, aux muscles tendus vers le plaisir et le coeur battant à tout rompre dans la volupté... 
 
Faibles et puissants à la fois, maîtres du monde en cet instant, l'enfant comme le roi, dieux vivants aimés des dieux, couronnés par l'Amour..."

(Poèmes de Constantin Cavafy dans la traduction de Marguerite Yourcenar et notes retrouvées présumées par Hadrien avant la mort d'Antinoüs)
 

09 novembre 2022

Je ne connaissais rien de l'amour mais soudain devant lui j'ai su...

"Et, ce faisant que je ne connaissais rien de l’amour, je ne connaissais pas le moins du monde à ce qui s’était bâti entre lui et moi. Je ne sais pas si c’était une forme d’amour. Un lien de dépendance très certainement. Et, au final, une forme d’amour que je cherche aujourd’hui encore sur le visage de mes amis, en dépit de tout ce qui est advenu par la suite. Je le vois apparaître parfois en filigrane. Je ne m’en suis aperçu que récemment." (Arnaud Cathrine)

 
C’est un fait reconnu sur lequel on a souvent écrit :  l’amitié entre hommes est un sujet difficile, vite tabou, trop peu abordé en littérature comme si chaque épisode écrit cela nous renvoyait à la mythologie et ses guerres fratricides. Il y eut bien Montaigne et La Boétie, le fameux "parce que c'était lui, parce que c'était moi", mais bon ce n'est pas très rock-and-roll pour les gens. Quand il s'agit d'une amitié entre garçons, entre adolescents, c'est pire. Montaigne et La Boétie étaient assez jeunes quand leur affection se déployait, mais c'était une autre époque. 

Bref, parler de l'affection qu'un garçon peut ressentir soudain ou qui s'insinue peu à peu et se fait réciproque, c'est un interdit. Cela gêne. Comme si aborder cette relation devait automatiquement insinuer une virilité, un combat, une forme de violence entre deux frères-de-sang adulte ; comme si l’amitié était un truc fade, puéril, relégué aux souvenirs de la cour de récréation et liés à nos jeux d’enfant, aux guerres et autres échanges de gouttes de sang. Comme si l’amitié entre deux garçons insinuait une perdition, un amour impossible, une image dégradante et fortement homo-sexuée. Et puis quand bien même...

Ces premiers frissons, ce désir que nous ne savons pas nommer, ce trouble nouveau qui s'immisce, nous avons tous ressenti cela à un moment ou un autre. La passion absolue, cette amitié virile entre deux adolescents qui entrent de plein fouet dans le monde adulte, celui des déconvenues et de l'impureté. Ils apprendront un jour le mot qui caractérise tout cela, l'incomplétude. Ils réaliseront qu'ils ne son,t pas des dieux quand l'image d'eux que le monde leur renvoyait trop longtemps les fit se prendre pour des demi-dieux... 

 

Repris l'autre soir "Les Garçons perdus", ce livre de Arnaud Cathrine et Eric Cavacaca qui m'avait beaucoup marqué à sa parution. Une fiction ? Un reportage ? On hésite tant tout semble vrai, fort, réellement vécu et au fil des pages, mille souvenirs qu'on croyait oubliés refont surface. Joyeux et douloureux à la fois...

Deux jeunes garçons, presqu'encore des enfants, deux jeunes mâles que tout oppose : l’un est soucieux de sa virilité, un peu teigneux,bien  charpenté, à l’humour offensif, brillant en tout. Il impressionne quiconque s’adresse à lui. est le fer de lance, l’ami à avoir, le compagnon à côtoyer, le pote à inviter, l’idole. L’autre est tout le contraire, transparent, invisible,  beau mais chétif, mal à l'aise dans un corps trop frêle pour être respecté,  impopulaire à souhait. Autour de lui sifflent le jugement impitoyable des autres garçons qui le traitent de "Tarlouze" ou de "fiotte... Il n'a qu'une hâte : quitter l'enfer du lycée pour échapper à ces tensions perpétuelles.

 

Ce qui les rapproche l’un de l’autre : une histoire d’alter ego, l’un sublimant l’autre, l’autre donnant le change à l’un. La nuit et le jour, l’ombre et la lumière.  

On pourrait croire à une histoire sans idéaux, dans l’ennui de l’adolescence et de ces rencontres qui construisent et se perdent dans les dédales de la vie adulte. C’est bien autre chose que nous raconte cette histoire de garçons perdus. C’est la force et l’émotion, la suprématie de celui qui s’égare et l’éclosion de celui qui devient, la vie et la mort, les pertes de repères et les désillusions, les trajectoires qui ne tiennent qu’à un fil, un mot, les fils qui se construisent, deviennent romans, quand d’autres s’isolent et se cassent.








 

01 octobre 2022

Tes baisers sont la seule profondeur de ma vie


Aimables jeunes gens, je vous salue avec amitié.
Ensemble peut-être pourrons-nous entreprendre
Un monde plus ouvert et moins désespéré.
Et toi, idéal merveilleux, ami de ma confiance,
Laisse-moi me perdre sans honte dans ta présence
Et me réjouir à jamais de la réponse de ton sourire.
Car dans l’éternité de la nuit, dans la journée de ma renaissance,
Tes baisers sont la seule profondeur de ma vie.
 

Prince du ciel et de la terre, pardonnez-moi mon imprudence
Si je vis dans une amoureuse impatience, et si
Dans l’espace étroit de ma pauvre existence
Ses baisers sont la seule profondeur de ma vie.

31 août 2022

L'extraordinaire Neal Cassady

 

En lisant le blog de Frank Beacham qui souhaite un joyeux anniversaire à Van Morrison qui fête ses 77 ans aujourd'hui, j'ai découvert une billet qu'il rédigea sur Neal Cassady dont je viens de trouver dans ma librairie d'occasion préférée sur Saint Marks Place, dans East Village,"As Ever" la correspondance d'Allan Ginsberg avec Cassady. Excellent article de Beachham, comme d'habitude qui m'a permis de découvrir ce qui est je crois la seule interview filmée de Neal Cassady, à New York justement, extrait du documentaire réalisé en 1993 par Jerry Aronson.

J'avais déjà lu les lettres écrites par Cassady entre 1944 et 1950 traduites en français et j'avoue que son écriture me fascine. je comprend l'influence qu'il a pu avoir sur Kerouac, Goinsberg et d'autres. Brillant, grand lecteur, ce fils de clochard alcoolique qui a fini tristement (d'une overdose disent certains, d'un refroidissement d'autres et même depuis quelques années, tué par les balles de la police mexicaine... 


On ne saura jamais, son corps a été incinéré par la police justement aussitôt le décès constaté), est le précurseur de la Beat Generation, bisexuel ou pansexuel, désinhibé dans un pays prude à l'accès, sincère et direct dans une Amérique hypocrite et coincée. Wouah ! quel personnage. Pourtant cet ardent baiseur, se vendait pour gagner de quoi subsister dans son extrême jeunesse (aujourd'hui, on dirait plutôt call-boy ou escort...), indifféremment aux femmes et aux hommes, grand amateur de filles depuis son adolescence (il s'est marié à 17 ans et a fait des enfants à pas mal de nanas), a aimé aussi couché avec des garçons et des hommes. N'a-t-il pas été l'amant de Allen Ginsberg ? On dit aussi qu'il a découvert le sexe avec son mentor Justin Brierly quand il avait 16 ou 17 ans. De quoi faire enrager l'Amérique d'aujourd'hui dans sa pruderie et son homophobie latente en montrant que la sexualité n'est pas binaire et qu'on peut aimer baiser les filles autant que les garçons. 


Et puis, Cassady montre aussi autre chose par sa vie sentimentale : fille ou garçon, les gens avec qui il couchait, il leur trouvait toujours quelque chose à aimer et chacune de ses rencontres amoureuses était un coup de foudre, un amour vrai et profond. De quoi remettre en question les préventions des jeunes des années 2020, qui préfèrent de plus en plus étouffer leur désir et leur curiosité, en s'interdisant de s'aventurer là où ma génération et celle d'avant la mienne, qui n'avait pas encore connu le sida et s'était libérée de la pression morale des religions et de la bienséance, nous nous sommes aventurés pour notre plus grand bonheur. Je connais beaucoup de garçons de seize ou dix-sept ans visiblement attirés par les garçons ou parfois par les hommes plus mûrs qui souffrent et luttent pour ne pas céder et vont avec des filles par convenance sociale ou morale. Régression terrible ce me semble.

07 août 2022

La nuit tombée

Texte inédit retrouvé dans un carnet de mai 2010.

La nuit tombée. La ville n’est plus que lumières. Les immeubles éclairés, les faisceaux jaunes, rouges et blancs qui se déplacent en bas dans les rues. Un grondement lointain qui nous parvient assourdi par les fenêtres de l’appartement. L’orage. Billie Holiday chante dans le salon. Près de la cheminée, Brinkley dort sur son gros coussin. Antoine vient de sortir de la douche. Il est nu, la taille entourée d’une grande serviette blanche. J’aime le trait un peu épais qui se détache droit, attirant, du tissu éponge. Ses cheveux encore mouillés lui donnent un air de pâtre de mythologie. Qu’il est beau. Sa peau est hâlée, lisse, imberbe. Ses muscles saillants, ses larges épaules pleines de tâches de rousseur attendent mes lèvres.

 

Nous allons dormir ensemble cette nuit, pour la première fois depuis trois semaines. J’étais sans cesse en déplacement et maintenant qu’il travaille sur sa thèse, il ne peut me suivre comme nous le faisions avant. Nous nous connaissons depuis quatre ans maintenant. Quatre années merveilleuses. Pourtant je me suis toujours refusé à le considérer comme mon "conjoint" ou "compagnon". Je suis peut-être vieux jeu voire hypocrite aux yeux de certains, mais je ne puis me faire à l’idée que deux garçons puissent vivre ensemble et être considérés par les autres comme un couple rangé, monsieur et madame avec le chien comme substitut de gamin... Antoine est moi sommes amis et amants ; nous sommes liés comme Achille et Patrocle, Alexandre et Ephestion. Nous sommes deux hommes, deux mâles, qui ont en commun mille choses, à commencer par notre plaisir, le désir du corps de l’autre, mais ce n’est pas mon homme (ou ma femme), c’est mon ami, mon amant. Point. 

 

J’ai hâte de me déshabiller et de sentir son corps contre le mien. Notre plaisir échangé, partagé, assouvi, nous nous endormirons l’un contre l’autre. Billie Holiday chante toujours dans le salon. Il pleut dehors. Le chien rêve en gémissant sur son gros coussin, au pied de la cheminée. Antoine vient de me tendre la main pour que je le rejoigne. Nous allons nous coucher...  

 

22 avril 2022

Be that a shadow dark ?

"Be that a shadow dark ?" : Un très beau sonnet écrit par Abdul Hamid Mohmand, le célèbre poète afghan du XVIIe siècle, sage soufie que les islamistes aimeraient faire oublier. Apprécié en son temps jusqu'en Perse, kil partageait la même notoriété que Saadi ou Hafiz. Il a laissé de magnifiques poèmes d'amour pour les garçons. La traduction, trouvée sur internet, est de Andrew Calimach.

Be that a shadow dark on my beloved’s face,
Or the moon’s bow?
Be those white teeth within his crimson mouth,
Or tulip flecked with snow?

‘Tis witchery he weaves with his black eyes,
Magic that tricks a fellow
No peer to it you’ll find, though India you search,
And Bengal mellow.

Like the wild bird caught by a hundred traps,
That no more can take wing
In my beloved’s curly locks I’ve been caught fast,
An awkward thing.

Blue is my heart before my dear boy’s lips,
Red wine in azure mug.
A rose in bud? Look well, ‘tis a pink boy
In a green shawl wrapped snug.

The shadow on his lip, that mole,
On the beloved’s rosy face
Are like a mystery wrapped up inside a shawl,
All cloaked in grace.

Why does the owner of that pretty face
With all those suitors meet?
The forest deer itself will not find calm
When dogs bark at its feet.

My limbs they ache and hurt,
Wounded I lie just like a broken flute
The reason why I ever cry, and weep,
And howl till I am mute.

Abdul Hamid, that lovely boy to win,
Cry your heart out my pet.
Seek in an ocean for that gem to find,
Not in some rivulet.


Et, une version française au pied levé, très insatisfaisante, pour ceux qui ne liraient pas l'anglais :

Est-ce une ombre noire sur le visage de mon bien-aimé,
Ou le croissant de la lune ?
Est-ce ses dents blanches dans sa bouche cramoisie,
Ou une tulipe tachetée de neige ?

C'est la sorcellerie qu'il tisse avec ses yeux noirs,
La magie qui trompe son camarade
Vous ne trouverez pas d'égal à lui, même en cherchant jusqu’aux Indes,
Ou au Bengale moelleux.
 
Comme l'oiseau sauvage pris par cent pièges,
Plus personne ne peut prendre son envol
Dans les cheveux bouclés de mon bien-aimé, j'ai été pris rapidement,
Une chose bien curieuse.
 
Bleu est mon cœur devant les lèvres de mon cher garçon,
Vin rouge dans une tasse d'azur.
Une rose en bouton ? Regarde bien, c'est un garçon rose
Dans un châle vert bien enveloppé.
 
L'ombre sur sa lèvre, cette taupe,
Sur le visage rose de mon bien-aimé
Comme autant de mystères qu’enveloppe son châle,
Tous revêtus de grâce.
 
Comment le propriétaire de ce joli visage
Avec tous ses prétendants, ai-je pu rencontrer ?
Le cerf de la forêt lui-même ne peut trouver le calme
Quand les chiens aboient à ses pieds.
 
Mes membres me font mal et je souffre,
Blessé je geins comme une flûte cassée
La raison pour laquelle je sanglote et je pleure,
Et hurle jusqu'à ce que n’ai plus de voix.
 
Abdul Hamid, ce charmant garçon à gagner,
saigne ton cœur mon animal de compagnie.
Il te faudra plonger dans l’océan pour retrouver pareil joyau,
Pas dans un ruisseau.